Trois jours avant la présidentielle du samedi 27
août, le président de la Plate-forme
nationale de la société civile gabonaise, Georges Bruno Ngoussi, est venu à
Paris rencontrer la diaspora gabonaise. Ayant pris des responsabilités
importantes dans le suivi du processus électoral, le Pasteur Ngoussi a pu
quitter Libreville 24 heures, pour venir montrer à la diaspora l’importance
d’une unité autour de l’alliance de l’opposition constituée depuis la
nomination d’un candidat unique.
A ses côtés, intervient Mengue M’Eyaa, militante
de la diaspora gabonaise à Paris et conseillère du candidat Guy Nzouma
Ndama. Celle-ci commence par évoquer la sécurité sociale et l’accès à l’eau
potable comme bien public, deux enjeux de développement. Elle revient ensuite
sur l’élection, rappelant que les président-e-s de la Commission
électorale nationale autonome et permanente (CENAP) et
de la Cour constitutionnelle sont inféodé-e-s à l’auteur du coup
d’Etat électoral de 2009. Elle informe sur des urnes bourrées trouvées
récemment, demande à l’Union européenne de dénoncer ces faits et de « ne
pas venir pour entériner la victoire du président sortant ».
Le président de la Plate-forme nationale de la
société civile gabonaise commence par faire le point sur le processus électoral
qui « n’obéit à aucune norme démocratique ». Il dénonce « le
fichier électoral truqué », « la délivrance de pièces d’identités
provisoires de 3 mois à des ressortissants de pays étrangers », « des
media publics non régulés » et au service d’Ali Bongo, « la casse des
panneaux publicitaires » autres que ceux du président, la distribution
d’argent pour venir aux meetings, « de 5000 à 1500 CFA », l’« achat
de cartes d’électeurs entre « 45 000 et 150 000 » CFA, le
transport de forces de sécurité pour participer en civil à des meetings dans
les camions militaires, « le déplacement du Ministère de
l’intérieur » et « le déplacement de la CENAP un mois avant les
élections dans une caserne de la Garde républicaine ».
Georges Bruno Ngoussi constate que « les
observateurs internationaux semblent impuissants » et pourraient se
contenter d’accompagner une mascarade électorale « dans le calme »,
comme cela s’est fait pour d’autres « dictateurs », en
« reconnaissance de services rendus ». Il ne parle pas explicitement
de la mission d’observation européenne. Selon lui, Jean Ping va
« continuer la lutte pour la protection de l’environnement et contre
l’insécurité ». Il regrette qu’un diplomate américain ait félicité Ali
Bongo sur de tels points et demande à la diplomatie américaine de suivre la
« déclaration du congrès américain » du 12 juillet. Il demande
aussi au pouvoir français d’ « éclaircir sa position ».
Le pasteur rappelle que des membres des syndicats
et de la société civile, Jean Rémy Yama et 22 autres personnes, sont toujours
en prison. Il signale enfin que des ressortissants étrangers au Gabon
pourraient « perturber le processus électoral ».
En conclusion, il revient sur la volonté populaire
d’une candidature unique, revendication qui a été reprise par la société civile,
qui s’est ensuite largement rassemblée
derrière cette candidature. Georges Bruno Ngoussi a mené la société civile
dans les discussions qui ont abouti à la désignation de ce candidat. Cette
désignation de Jean Ping suite au ralliement de Guy Nzouma Ndama d’Héritage et
Modernité, le président de l'Assemblée
nationale jusqu’au 31 mars 2016, et de Casimir Oyé Mba, le candidat de
l’Union nationale, a été connue le 16 août, 11 jours avant le scrutin. Georges
Bruno Ngoussi tient à raconter l’histoire de cette négociation.
Selon le Pasteur, la négociation a duré 72 heures.
Les candidats ont d’abord, le premier jour, été auditionnés par la société
civile. Les
3 candidats principaux étaient d’accord sur le principe de la candidature
unique mais voulait tous être ce candidat. Casimir Oyé Mba a demandé que soient
définis des « critères objectifs ». Ces critères ont été choisis :
« réseau international, capacité de mobilisation, humilité, solvabilité »
pour aller au bout de la campagne. Georges Bruno Ngoussi a rencontré le président de l'Union nationale, Zacharie Myboto et un report pour
« mutualiser les efforts et emmener d’autres candidats » a alors été
décidé. Une annonce était prévue et ce premier rendez-vous n’a pas été
annulé : la plate-forme des 12 organisations y a indiqué que l’annonce
était reportée le 16, toujours à l’église Nazareth d’Okala. Jean Ping a été alors
choisi dans la nuit, une nuit avec des « sages », en plus des
candidats et de la société civile. Le fait que Jean Ping, connu à
l’international, soit allé dormir dans tous les villages y compris des villages
des pygmées, a été symboliquement remarqué.
Après la fin de l’intervention du président de la plate-forme, le débat
avec la salle est lancé. La candidature unique a redonné de l’espoir et les
propos sont constructifs. Le pasteur demande à la diaspora de
s’unir. Des manifestations sont déjà prévues chaque jour devant l’ambassade du
Gabon à Paris, en particulier samedi jusqu’au dépouillement après la fermeture
du bureau de vote à 23h. La diaspora enquête sur la préparation des fraudes
dans les grandes villes françaises. Des explications sont redonnées sur
l’enveloppe du vote qui pourrait poser problème : l’enveloppe
est formée de deux parties, une noire pour les bulletins non utilisés notée
‘poubelle’, une blanche pour le bulletin voté. Cette enveloppe originale en
Afrique avait été demandée par l’opposition, en particulier Pierre Manboundou.
Quelques intervenants sont cités à propos du
processus pour arriver à une candidature unique de l’opposition : sans oublier de nombreux citoyens activistes,
entre autres, parmi les membres de la société civile, Georges Mpaga, le
président du Réseau
des Organisations Libres de la Société Civile du Gabon (ROLBG), et
dans les partis, au niveau de l’Union national, Mike Joktane, lui aussi très
actif. Côté France, sans préjuger du poids de cette influence, Mengue M’Eyaa,
membre du Parti socialiste français, reconnaît avoir pris contact avec les
député-e-s Claude Bartolone et Elisabeth Guigou, la société civile a tenté de
rentrer en contact avec l’Elysée. Personne ne parle de Robert
Bourgi qui a pris position et est cité par la Lettre
du Continent. La question de la Françafrique est rappelée par une personne
de la salle et rapidement abandonnée, sans doute considérée comme secondaire
dans le contexte actuel.
Une autre question posée concerne la possibilité –
ou pas –, dans l’hypothèse d’une victoire, pour les opposants d’aider d’autres
pays africains à se démocratiser. La
question n’étant pas simple et méritant à elle seule un débat plus large,
elle est laissée sans réponse claire.
Après l’alliance, les programmes de quatre
candidats ont été rapidement synthétisés et Jean Ping fait maintenant campagne
avec un programme commun. Mengue M’Eyaa insiste sur la priorité de Jean Ping à
la réforme des institutions, mais aussi sur « la santé la culture, la
coopération décentralisée, le codéveloppement, la jeunesse ». L’ancien président de la Commission de l’Union africaine a dans son programme
« l’école gratuite jusqu’à 16 ans ».
La société civile a formé des scrutateurs, qui
travailleront aussi avec les partis politiques, après que le Ministère de
l’intérieur ait sorti une note pour les empêcher d’agir indépendamment. Des
« brigades de sécurisation des résultats » seront déployées dans les
bureaux de vote. Pour les observateurs, apporter sa propre nourriture et
refuser les « sandwichs de la CENAP » est recommandé. Un appel a été
lancé pour que la population surveille les bureaux de vote selon le principe
« Je vote, je reste ». En particulier, il est question d’empêcher les
votes multiples liés aux cartes électorales achetées ou de contrôler les votes
par procurations.
Pour le rassemblement des résultats, l’opposition
utilisera l’application ‘regardez
les élections au Gabon’ (REGAB) créée par Pierre-Desthin Soghe, informaticien
gabonais au Québec, « réalisée avec la collaboration d’un groupe Facebook
qui compte 2.574 membres ». La coupure générale d’internet est évidemment crainte.
Dans le contexte actuel, elle serait fortement dénoncée à l’international. La
société civile est en contact avec l’ONU et les diplomates à Libreville. Elle
espère dans tous les cas, et même en cas de coupure générale d’internet pouvoir
faire connaître rapidement des résultats indépendamment de la CENAP et de la
cour constitutionnelle, jugées d’avance sans crédibilité.
Le climat du Gabon a changé. Selon le pasteur,
« les gens parlent à visage découvert, la peur a changé de camp ».
Pendant la conférence, des images des nombreux meetings sont projetés, un drone
a permis de filmer des foules. Le président de la plate-forme constate un
« phénomène Ping ». Un intervenant voit Jean Ping comme « la
pointe d’une lance » capable de briser une glace épaisse. Derrière se
trouve le peuple, qui, selon cet intervenant, « quelque soit le résultat,
sera dans les rues », et aura la possibilité d’aller, si besoin, vers
« la désobéissance civile et pacifique ».
Le pasteur donne une connotation religieuse au
débat, il fait référence à la bible en citant le slogan de Jean Ping
« Etre à l’abri de la peur, être à l’abri du besoin ». L’affaire des
crimes rituels est évoquée, une personne de la salle parle de revenir aux
« valeurs du christianisme universelles ». Cela fait réagir Mengue
M’Eyaa, qui rappelle la place des athé-e-s et des musulman-e-s et rebondit sur
la culture originale gabonaise et sur l’idée de biens communs. Elle souligne
également que le Gabon de demain se fera avec les femmes, sous les vifs applaudissements
de la salle.
Aucun dictateur africain n’a accepté de perdre une
présidentielle depuis le 27 décembre 2002 quand, au Kenya, Daniel Arap Moi
et l’ancien parti unique KANU avaient accepté les règles du jeu de la
démocratie, en particulier l’application de la limitation à deux mandats et
l’alternance de parti politique. Est-ce que le Gabon pourrait être le premier
pays depuis 13 ans et demi où un président accepterait de quitter le pouvoir
par les urnes ?
Selon Georges Bruno Ngoussi, « quelque soit
la fraude, Ali Bongo va partir ». Le 22 août, dans une lettre à tous
les Gabonais , Guy Nzouba Ndama, Jean Ping et Casimir Oye Mba ont
déclaré: « Nous vous invitons à vous tenir prêts à défendre votre vote.
Quoi qu’il nous en coûte, individuellement et collectivement, nous ne devons
pas reculer ! … Vous avez le devoir de vous demander ce qu’il
adviendra de chacun d’entre nous et de notre pays si, par extraordinaire, Ali
Bongo rééditait son passage en force… Envers et contre tout, nous vous appelons
à la mobilisation, à la prise de conscience des défis et enjeux de cette
élection… L’élection du 27 août … doit
nous permettre de faire entrer notre pays dans la modernité. »
Le fait que les opposants soient sortis du ‘système
Bongo’ avec une connaissance de ses rouages revient plusieurs fois dans le
débat. Les départs du Parti démocratique gabonais (PDG)
ont constamment affaibli le ‘fils’ d’Omar Bongo et pourraient continuer. La
dictature d’Omar Bongo étaient, dans les ex-colonies françaises, la moins
violente, ce qui a permis que la classe politique ne soit pas ensuite décrédibilisée
et rejetée par la population. Au
milieu des solides dictatures africaines dans lesquelles les
mascarades électorales sont depuis longtemps imparables (selon un
intervenant du public, la « loi du casino » selon laquelle le
propriétaire est toujours gagnant), cet affaiblissement depuis 7 ans d’un chef
de l’Etat qui n’avait fait que récupérer le système ‘paternel’ a fait la
spécificité du Gabon.
L’alliance de l’opposition 11 jours avant le
scrutin est aussi inédite et a créé une première surprise. Cet accord tardif a
l’avantage de mettre en évidence la force de chacun des membres de la coalition
et de la rendre ainsi plus crédible, plus réaliste car constituée sans gommer
les divergences. L’électorat
d’Ali Bongo est maintenant estimé comme très inférieur à celui du candidat de
l’opposition. L’alliance de l’opposition et son candidat cachent une
diversité d’approche dans la société civile et les différents partis, complexe et
riche, proche de ce que qui pourrait permettre une nouvelle sorte de transition
de la dictature vers la démocratie. Cette configuration originale avant le
scrutin a soudain augmenté la probabilité d’une première chute de dictature par
les urnes en Afrique depuis 2002. Cependant, les dictateurs ont eux-aussi l’habitude
de créer des surprises, sans aucun scrupules, des surprises d’autant plus inattendues,
perverses ou violentes, qu’ils se sentent menacés.
Régis Marzin,
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