Parmi les 22 dictatures africaines en 2016, le
régime gabonais, comme celui du Burkina Faso en 2014, pouvait apparaître comme
l’un des moins durs. Mais la logique de détérioration est implacable. La population
est beaucoup plus mécontente d'un second coup d'Etat électoral que d’un
premier. Le peuple veut agir au plus vite et au plus fort pour stopper l’installation
d’un pouvoir monarchique. Le second coup d’Etat électoral enclenche un engrenage
vers un conflit sans réconciliation possible. Pour échapper à la sanction
populaire, le dictateur augmente le niveau de la dictature définitivement.
Globalement en Afrique, plus les peuples réclament
la démocratie, plus les dictateurs résistent et accentuent la répression. Entre
autres, cette logique de détérioration pousse la communauté internationale à
s'impliquer, parce que sinon, les conflits iraient grandissants au point de risquer
d’échapper à tout contrôle extérieur. Une fois la négociation entamée, il s’agit
de trouver une issue, pour le peuple comme pour les diplomates. Au Gabon, cette
solution ne peut plus passer par Ali Bongo. Le tyran mafieux est mort
politiquement, et n’a plus pour lui que la violence de sa Garde républicaine et
de ses miliciens encagoulés. Le coup d’Etat électoral se transforme en répression militaire violente qui pourrait se
pérenniser.
Ce 3 septembre, à Paris, ils et elles étaient 3000
à se rassembler pour montrer leur refus catégorique d’un nouveau coup d’Etat
électoral. C’est surtout la diaspora gabonaise qui s’est rassemblée, même les
personnes qui n’ont pas voté. Elle a
pour cela utilisé au maximum les réseaux sociaux sur internet. Cette diaspora est avant tout pour la fin de la
dictature. Elle reconnaît que, selon les règles du jeu de la démocratie, Jean
Ping a gagné, avec une alliance de l’opposition. Le
coup d’Etat électoral est évident : dans la dernière province dont les
résultats ont été connus, le Haut Ogooué, le fichier électoral a été fortement gonflé,
la participation a été fixée sur le papier à 99% et le vote pour Ali Bongo a
été inventé à 95%.
Peut-être que le reste de l’Afrique n’a pas encore
bien compris cette nuance entre choix d’un leader et rejet de la dictature. En
outre, l’enjeu continental est dans le basculement potentiel du nombre
de pays dictatoriaux et démocratiques actuellement à l’équilibre, 22 et 22,
du côté des démocraties. Un seul pays ferait passer la majorité du côté de la
démocratie. C’est pourquoi, les derniers dictateurs, qui cette année viennent
de commettre le même type de coups
d’Etat électoraux, au Congo-Brazzaville, à
Djibouti, au Tchad, ou en Guinée Equatoriale, se taisent. Ces coupables ont pour l’instant laissé les diplomates
européens et américains se débrouiller, pour que les regards ne se retournent
pas vers eux. Seul Idriss Déby, l’auteur d’un coup
d’Etat électoral au Tchad en avril 2016, s’est exprimé
le 4 septembre au nom de l’Union africaine dans un style convenu.
Les gabonais-es se sont aussi souvenus de l’amitié
liant Nicolas Sarkozy et Ali Bongo et se sont mis-es à crier « Sarkozy !
vient chercher Ali. » Robert Bourgi est là aussi. François Fillon est là
aussi. Jean-Luc Mélenchon est là aussi. Mais la question qui se pose n’est pas
celle d’un règlement de compte de fin de Françafrique ou celle de la fin d’un « impérialisme » :
la question principale est maintenant celle du respect des règles de la
démocratie dans les pays sans alternance depuis 25 ans, comme l’a souligné le
député socialiste Philippe Baumel.
A en croire les pancartes et les slogans sur la
CPI, la foule souhaite aussi qu’Ali Bongo soit jugé pour les massacres en
cours. Même les media qui comprennent la victoire de l’opposition reprennent
étrangement les bilans officiels, qui n’ont rien à voir avec la réalité. Dresser
un bilan des massacres est devenu une urgence, au-delà de l’émotion et des
deuils.
Le même jour, au Gabon, l’opposition explique que
les procès verbaux de la province ou Ali Bongo a organisé l’essentiel des
fraudes pour inverser le résultat, le Haut-Ogooué, permettent
facilement de montrer que les chiffres officiels de cette province sont
totalement inventés, et que Jean Ping est donc vainqueur. La
communauté internationale et la MOE-UE en particulier peuvent accéder à une
grande partie des PVs du Haut-Ogooué et estimer les résultats ce qui
confirmerait la victoire de Jean Ping. La MOE-UE n’a pas été jusqu’au bout de
ses possibilités d’action. Pourquoi ?
Ali Bongo continue de refuser la publication de tous les PVs des bureaux de votes
comme le réclame l’Union européenne, le Conseil de sécurité de l’ONU, les diplomates
français et américains, avouant ainsi son mensonge. La communauté internationale
pourrait décider d’agir fermement en fonction de cet aveu indirect.
Le 5 septembre au matin, Jean Ping a appelé à la « grève
générale et au blocage économique du Gabon ». Le Gabon est politiquement
perdu pour Ali Bongo et son clan. Vont-ils rester par la force et persister
dans le déni de la réalité ? Alors que des « dizaines » de gabonais-es
ont déjà sacrifié leur vie, la communauté internationale est face à la question
de la limite à ne pas dépasser pour les dictateurs africains, la limite
actuelle, à quelques mois des élections en République démocratique du Congo,
pays ou la même question pose déjà des difficultés beaucoup plus importantes.
Mais les dictateurs africains ont habitués le
monde à des surprises. Ils sont aussi solidaires entre eux. Voilà que le 5
septembre toujours, l’Union
européenne (SEAE) et le gouvernement
français (MAEDI) en France ont accepté l’idée d’une délégation de présidents
africains menée par le président de l’Union africaine, Idriss Déby, bien que
celui-ci soit lui-même auteur d’un coup
d’Etat électoral au Tchad en avril 2016. L’issue pour le Gabon après le
coup d’Etat électoral se trouvera-t-elle à l’échelle géopolitique supérieure ?
Ou est-ce le début d’un nouveau renoncement dans le soutien des démocrates africains ?
Régis Marzin, Paris, écrit et publié
le 5.9.16
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