Ce dimanche 18 février, à Paris, le parti politique
djiboutien Alliance Républicaine pour le
Développement (ARD) a invité la diaspora djiboutienne à venir discuter de la
situation à Djibouti avant la parodie
de législatives du 23 février. Je viens comme conférencier pour donner mon
point de vue de journaliste et chercheur indépendant sur les élections en
Afrique. Ce compte-rendu a été complété exceptionnellement par des informations
qui n’ont pas été données lors de la journée, en particulier sur le multipartisme.
Maki Houmed-Gaba,
représentant de l'ARD en Europe, introduit la
conférence en deux parties, sur les mobilisations politiques et sur les
élections. Mahdi Ibrahim A. God,
vice-président de l’ARD, en exil à Londres, est présent à ses côtés. Au moyen
d’une vidéo, Maki Houmed-Gaba revient sur le « printemps arabe » et
sur une manifestation à Djibouti-ville le 10 février 2011. Le 19
avril 2010, Ismaïl Omar Guelleh avait
fait enlever par le parlement la limite de 2 mandats de 5 ans de la Constitution.
La présidentielle du 8 avril a été ensuite boycottée. La population ne voulait
pas de 3e mandat. La coalition Union pour une Alternative Démocratique (UAD) a
réussi alors à commencer à mobiliser cette population.
La coalition Union pour le salut national a retrouvé une population mobilisée en 2013. Après sa victoire aux législatives de février 2013, dont le résultat a été inversé par le pouvoir, les manifestations ont commencé et sont devenues assez nombreuses pendant 2 ans. Avant 2011, les dernières manifestations dataient de 1976 et 1977 et de la lutte pour l’indépendance.
La coalition Union pour le salut national a retrouvé une population mobilisée en 2013. Après sa victoire aux législatives de février 2013, dont le résultat a été inversé par le pouvoir, les manifestations ont commencé et sont devenues assez nombreuses pendant 2 ans. Avant 2011, les dernières manifestations dataient de 1976 et 1977 et de la lutte pour l’indépendance.
Le multipartisme a été partiellement acquis grâce au référendum constitutionnel de 1992 pendant
la guerre
avec le Frud, il s’est limité pendant 10 ans à quatre partis au total pour le
pouvoir et l’opposition. Le multipartisme intégral a été, en théorie et dans la
loi, autorisé à partir du 4
septembre 2002. Grâce à cela, en 2002, de nouveau partis ont pu se créer
mais le verrou n’a pas sauté. Le multipartisme reste arbitrairement et ‘de fait’
partiel. En effet, le ministère de l’intérieur continue d’empêcher la création
des partis et le nombre de parti hors coalition du pouvoir UMP n’a jamais dépassé
4, pour 4
statuts légaux autorisés. En 2017, les 4 partis hors coalition UMP sont des
partis clonés et de fausse opposition. L’opposition réelle a été chassée des
élections législatives et Djibouti est retourné à un stade proche du parti
unique des années 80.
Le débat démarre sur la possibilité pour l’opposition de s’organiser.
Le pouvoir utilise la méthode du licenciement des fonctionnaires et des pressions
sur les salariés et entrepreneurs du privés, sur les clients ou la famille pour
empêcher financièrement les travailleurs d’être dans des partis politiques. Un
travailleur indépendant perd ses clients, peut avoir une coupure de son contrat
d’électricité, son matériel détruit, avoir un contrôle fiscal, etc… En
pratique, pour rester dans un parti d’opposition, il est plus simple d’être retraité
ou chômeur.
La discussion revient sur les inversions de résultats des
élections, lors de la présidentielle de 1999, les législatives de 2003 et 2013.
Djibouti a un faux-multipartisme en plus des fausses élections de dictature, mais
le pays est aussi le seul en Afrique dans lequel toutes les élections sont,
soit boycottées, 7 sur 10, soit au résultat inversé, 3 sur 10. Mahdi Ibrahim A. God
précise qu’il a été un des témoins principaux de l’inversion en 1999, qu’il
recevait les données des bureaux de vote toutes les heures, qui montrait la large
victoire de Moussa Ahmed Idriss contre Ismaïl Omar Guelleh et
évoque un débat de TV5 sur le sujet. Lors de l’inversion sur les législatives
de 2003, l’UAD avait rassemblé 140 000 signatures de personnes voulant
voter UAD alors qu’il y avait 192 000 inscrits sur le fichier électoral. Il indique également que
la constitution donne tous les pouvoirs au président, sans partage de pouvoirs
avec le parlement et la justice. Les problèmes ont commencé quand les français
ont accepté l’indépendance sous condition, en imposant une liste de dirigeants
qui sont ensuite restés.
Ismaël Ahmed, député
USN depuis 2015, intervient également et revient sur l’accord du 30 décembre
2014 et les années 2015 et 2016. Comme les années 2013 et 2014 avait montré une
forte mobilisation, et il a pensé qu’il fallait participer. La plus grosse
difficulté a été le fait de ne pas avoir de leader pour être candidat de l’USN
en 2016. Il n’y a pas eu de primaires, alors qu’elles étaient nécessaires et
selon lui « l’opposition est allée droit dans le mur » ou « a
regardé le train partir dans le mur », « l’USN s’éclatant elle-même »
en raison de « problèmes humains ». Une nouvelle coalition aurait
besoin d’établir une règle du jeu » en « transformant les egos en
énergie positive ». Selon lui, il est « contre le boycott » qui,
s’il se fait, doit se faire « en défiant le régime ».
Dans mon intervention, je donne quelques caractéristiques de
la dictature djiboutienne. L’électorat de Guelleh semble très réduit. Du coup,
la tension monte autour des élections. Le niveau de dictature est arrivé dans
les plus élevés en Afrique en raison du décalage avec la population même si l’opposition
est en difficulté. Il y a eu une forme d’inversion du résultat en 2016, par suppression
du second tour, bien camouflé, alors qu’il y avait déjà détournement du
processus électoral en amont avec boycott partiel.
Je décris une classification
adaptée des élections en dictature, les processus électoraux détournés en
amont, avec ou sans boycott, majoritaires à près de 80% pour les
présidentielles, les élections fraudées le jour du vote, près de 10%, les
inversions de résultats, près de 10%, et quelques rares exceptions d’élections
correctes. Les dictateurs mélangent les méthodes sur un même processus
électoral, mais une méthode se dégage comme principale. A Djibouti comme
ailleurs, le dictateur préfère un processus électoral détourné en amont qui ne
lui laisse aucun risque le jour du vote. Parmi les 4 familles de méthodes de
détournement en amont, autour du fichier électoral, de l’absence de liberté et
de débat politique, de la Ceni et des institutions, et de la désorganisation de
l’opposition, il a privilégié les méthodes
de désorganisation de l’opposition. Il est sans doute maintenant le
meilleur dictateur en Afrique dans le domaine de la désorganisation de l’opposition.
Je signale que même si l’opposition a des faiblesses, elle a le choix entre
dire qu’« elle boycotte une élection » ou qu’elle constate que « le
processus électoral a été détourné en amont avec des moyens adaptés ». La
différence est qu’elle peut choisir de dire qui décide et qui agit, puisqu’en
réalité, ce sont chef d’état et son clan qui décident et agissent pour empêcher
la démocratie d’exister.
Le président du mouvement armé Front pour la Restauration de l' Unité et de la Démocratie (FRUD), Mohamed Kadami, donne son avis depuis la salle.
Mahdi
Ibrahim A. God signale qu’aux législatives, le mode de scrutin des législatives
permet au régime de tenir et qu’il faudrait « exiger une proportionnelle à
100% » (en gardant un scrutin par liste par zone), qui « arrêterait
aussi le tribalisme ». La question se pose aussi d’avoir une liste réduite
de revendications efficaces, comme actuellement au Togo.
La journée se termine sur le point de la mobilisation de la
jeunesse de la diaspora.
Régis Marzin
Compte-rendu complété, écrit et publié le 22 février 2018
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