Ce jeudi soir, veille de l’anniversaire du déclenchement du
génocide des Tutsis du Rwanda, la librairie la Friche dans le 11e à
Paris a organisé une présentation et dédicace du livre de Guillaume Ancel, "Rwanda,
la fin du silence" aux éditions des Belles Lettres. La libraire est
pleine d’une cinquantaine de personnes. Dans le monde qui gravite autour du
sujet du génocide des Tutsis, depuis
2014, Guillaume
Ancel est maintenant connu. Ancien officier de la de la Force d’action rapide pendant
l’opération Turquoise, ayant quitté l’armée en 2005, il est l’un des rares
témoins de terrain qui intervient dans des conférences en France. Il est
surtout l’un des plus rares encore soldats qui ont choisi d’affronter
l’interdiction implicite de parler de la complicité française dans le
génocide.
Après de nombreuses interventions orales, après un premier
récit de sa mission
à Sarajevo en 1995 édité en mai 2017, il a décidé de mettre son témoignage sur
le Rwanda par écrit, pour lui donner plus de poids et éviter qu’il ne « puisse être effacé ».
L’ancien spécialiste des missiles présente son livre. Il raconte
comment le 1er juillet 1994, une attaque contre le FPR a été
brusquement arrêtée, en début d’opération. 150 soldats français, avec
hélicoptères et avions Jaguar devaient stopper 1500 soldats du FPR. L’opération
a été annulée juste après son déclenchement, sans doute, selon lui, parce que la
procédure des opérations aériennes contenait une étape d’échange de vérification
avec le PC Jupiter à l’Elysée, étape que ne connaissait peut-être pas l’Amiral
Lanxade, un marin. C’est ensuite qu’advint la mission à partir du 2 juillet de
Jean-Christophe Rufin, alors conseiller du ministre de la défense François
Léotard, et de l’universitaire Gérard Prunier, pour négocier
avec Paul Kagamé sur la zone humanitaire. Selon
Guillaume Ancel, à l’Elysée, les « faucons » ou « ultras »
« perdaient pied » et Hubert Védrine a été un témoin clé des échanges
entre « 2 factions » autour de François Mitterrand.
Guillaume Ancel témoigne également du détournement de
l’attention des journalistes lors du passage d’armes livrées par l’armée
française aux hutus génocidaires réfugiés au Zaïre. Au débriefing, l’officier
responsable lui a expliqué qu’ils avaient reçu « l’ordre de livrer des
armes pour donner un gage de confiance aux forces gouvernementales et éviter qu’elles se retournent contre nous »,
tout cela pendant l’embargo décidé à l’Onu.
Sur le point de l’attentat du 6 avril, il pense que la
« DGSE aurait dû savoir » que « 5 personnes entraînées » au
minimum, type « mercenaires des pays de l’Est » étaient présentes. Il
explique qu’on ne peut cacher un tir de nuit, avec une flamme sur 100m et de la
fumée qui reste 10 minutes. Il rappelle la subtilisation
de la boîte noire et la mort suspecte de François de Grossouvre à l’Elysée.
Selon lui, la responsabilité des « extrémistes hutus » ne fait aucun
doute.
L’ancien Lieutenant-colonel affirme que la mission de Turquoise
n’était pas humanitaire – une « fable », dénonce-t-il –, mais qu’elle
était d’abord de « remettre en place le gouvernement génocidaire ». Il résume
le soutien des génocidaires, avant, pendant et après le génocide, par
« remettre au pouvoir, soutenir, réarmer ».
Il décrit la parole libre à l’intérieur de l’armée sans l’être
vers l’extérieur. Il a voulu être interrogé par la Mission d’information parlementaire
(MIP) de 1998 ce qui lui a été refusé
par sa hiérarchie. Pour lui, la MIP a servi à organiser un
« sarcophage ». Paul Quilès, lors d’un colloque
à la fondation Jean Jaurès le 27 février 2014, l’a interrompu, « s’est levé, l’a pointé du doigt
et lui a dit : « Jeune homme, … je vous demande de ne pas
témoigner ». Guillaume Ancel désigne Paul Quilès comme le « chef des gardiens
du sarcophage ».
Il évoque les années précédentes, les alertes non entendues
contenues dans le rapport du Général Varret, Chef de la Mission
militaire de coopération entre octobre 1990 et avril 1993.
Pour expliquer cette politique, il mentionne la pression d’un lobby autour de
l’Elysée. Il liste François Mitterrand, Hubert Védrine, Alain Juppé et l’Amiral
Jacques Lanxade, comme principaux acteurs des « décisions qui
faisaient que les soldats se retrouvaient dans une situation de
complicité ». Il est scandalisé qu’« on continue de cacher (la
vérité) aux français », pour empêcher qu’ils « pensent et jugent par
eux-mêmes » et évoque plusieurs fois les victimes. Il insiste surtout sur
la nécessité de l’ouverture des archives et signale à ce sujet la promesse non
tenue de François Hollande en 2015.
Le débat avec la salle revient sur l’épisode du 1er
juillet. Deux personnes dans le public cherchent à mettre en difficulté
l’intervenant, en traitant l’armée française, l’un, de « barbare »,
l’autre, de soumise aux multinationales. Guillaume Ancel répond sur la violence
de la guerre, évoquant un prisonnier jeté d’un hélicoptère et un passage du
livre, une « opération difficile à justifier » d’« exécution de
12 miliciens ». Le reste du débat concerne surtout l’implication et la
complicité française dans le génocide.
Après les dédicaces, je questionne Guillaume Ancel sur la
guerre de l’information dans le milieu de l’armée qui est une partie d’une
guerre de l’information plus générale qui depuis 2014 a tourné à l’avantage des
partisans de la dénonciation
de la complicité des dirigeants français dans le génocide : « Y-a-t-il
une nouvelle génération de militaires qui s’oppose à une ancienne sur la
version officielle ? ». Il regrette que non.
(Fin du compte-rendu, suite et commentaire sur le blog dejournaliste-chercheur.)
Régis Marzin
Compte-rendu (et
commentaire), écrit et publié le 8 avril 2018
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