J'arrive à l'Ecole Normale Supérieure, rue d'Ulm, pendant le débat de la 3e table ronde du colloque "Cour Pénale Internationale 2002-2012 : regards sur ces dix premières années", et je suis surtout intéressé par la 4e table ronde, "Le principe de complémentarité – quel rôle pour la France ?" avec,
de gauche à droite sur la photo, Délou Bouvier,
magistrat, Syndicat de la magistrature - qui s'ajoute au panel en raison de l'absence de Jean-Pierre Sueur, le Président de la Commission des lois du Sénat -, Patrick Baudouin, coordinateur du groupe d’action judiciaire et président d’honneur de la FIDH, Aurélia Devos, Vice Procureur près le Tribunal de Grande Instance de Paris, Pôle crimes contre l’humanité, crimes et délits de guerre, Christopher Hall, Senior legal adviser d’Amnesty International. La conférence quitte la question de la CPI pour aborder plus globalement la justice internationale et l'état français. Le bilan est globalement négatif, selon la FIDH, Amnesty et le Syndicat de la Magistrature, surtout en raison de la loi d'application du statut de Rome de 2010, qui définit les règles de fonctionnement de la CPI : une loi "scélérate", selon le président d'honneur de la FIDH, votée après 8 années de tergiversation et dont les 4 verrous doivent être enlevés. Le nouveau parlement et le sénat ne devraient pas tarder à le faire, suite à la proposition de loi de Jean-Pierre Sueur. Aurélia Devos, venue pour parler du nouveau pôle du TGI de Paris créé le 1er janvier 2012, est extrêmement intéressante. Selon elle, "la justice devient générale et préventive, après avoir été réactionnelle". Il y a un mouvement européen lié à l'Union Européenne. Le statut de Rome crée de nouvelles incriminations, par exemple, la "responsabilité du supérieur hiérarchique" avec une "complicité par abstention", qui "trouble les pénalistes". Le pôle du TGI traitera très peu de dossiers, 30 actuellement, par rapport aux autres pôles, mais le droit international est très complexe et demande une spécialisation. Les enjeux politiques pèsent, parfois avec des "instrumentalisation". Le pôle est confronté à des questions spécifiques: faut-il "lutter contre l'impunité?" viser "des réparations ? des réconciliations ? la paix ? écrire l'histoire? parler de sociologie et politique ?". L'enjeu est celui de la "création d'une politique pénale". Le pôle du TGI connait "une naissance à risque" et doit "être légitime". Patrick Baudouin venait de signaler que la création du pôle permettrait peut-être de débloquer les plaintes concernant le génocide du Rwanda qui attendent depuis 17 ans. Celui-ci évoque aussi ensuite l'affaire du Beach du Congo Brazzaville victime du parquet. Pendant le débat, une ancienne conseillère de Bernard Kouchner, précise que c'est l'ancien ministre des affaires étrangères, qui a décidé de la création de ce pôle en pensant aux affaires du Rwanda. La question des immunités de présidents et ministres est abordée et des décisions de la Cour de cassation sont attendues.
La conclusion du colloque organisé par la Coalition Française pour la CPI est laissée à Robert Badinter, ancien président du Conseil constitutionnel de Mars 1986 à Mars 1995. Celui-ci avait lui-même rédigé une proposition de loi pour le statut de Rome de la CPI qui a pu, cette année, être reprise par M.Sueur. Il relativise le mauvais bilan français en soulignant les progrès en remontant dans le temps. Pour lui, la CPI est "une révolution face à la souveraineté des états". Il cite aussi comme points positifs, les Tribunaux Pénaux Internationaux pour la Yougoslovie et le Rwanda, que François Mitterrand aurait aidé à créer parce qu'il "voulait une compensation" suite à la "non-intervention dans les conflits". Il insiste sur la place prédominante de juristes français dans le processus de création du TPIY. Ainsi, la France ne serait pas le plus mauvais des pays. Je me demande pourquoi Robert Badinter prend le risque de prendre comme exemple le rôle de Mitterrand sur la Yougoslavie et le Rwanda, puisque Mitterrand est désigné par un certain nombre d'experts et d'associations comme très impliqué dans le génocide du Rwanda. On ne peut pas ne pas envisager l'hypothèse d'une volonté de contrôler le domaine d'application de la justice. Le TPIR n'a justement pas eu dans ses fonctions d'instruire sur les responsabilités françaises. Au-delà, est-ce que Robert Badinter n'essayait pas d'envoyer un message crypté aux juges du pôle du TGI en charge des plaintes sur le Rwanda ? Il aurait fallu poser la question au vieil homme, mais ce n'est après tout que la conclusion du colloque, et, pendant les applaudissements, je quitte la salle, déjà un peu en retard à ma réunion de la soirée. En 1988, Elisaleth et Robert Badinter, avait écrit une biographie de Condorcet que j'avais lu avec passion. La construction de la justice internationale me rappelle la philosophie de l'"Esquisse d'un Tableau historique des progrès de l'esprit humain" écrit pendant la révolution française, alors que Condorcet savait qu'il avait peu de chance d'échapper à la mort. Quoi qu'on entende ou voit, il faut mieux rester optimiste.
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