Je suis un peu las des combats africains, là. Le
hasard a bien fait les choses aujourd’hui : hier, je regardai un film
coréen, ‘Le
chant de la fidèle Chunhyang’ d’Im Kwon Taek (2000), et aujourd’hui, je
vais écouter à la Maison des Sciences de
l'Homme – pourquoi pas humaines ? - Paris Nord un concert
intitulé ‘Improvisation
France-Corée’. Le film de la
veille, une histoire d’amour empêchée célébrissime, est entrecoupé de scène d’un
concert de ‘pansori’, un récit chanté accompagné au tambour. J’ai encore l’atmosphère
et les images en tête. La mise en scène est traversée par une réflexion sur la
représentation, la transmission de valeurs morales et d’une identité culturelle
dans la représentation sur scène comme sur l’écran.
C’est d’abord
un plaisir de découvrir un nouveau lieu, la MSH récemment ouvert à la Plaine
Saint-Denis, juste à côté du Métro Front populaire, dans la zone où va s’installer
le pôle universitaire de sciences humaines.
Les musicien-ne-s sont Didier Petit au violoncelle,
Philippe Foch aux percussions diverses, Song Ji-yun à la flûte classique coréenne
daegeum, et la star de la soirée, Kim Dong-Won, percussionniste
connu de passage à Paris.
Il y a une part de musique traditionnelle coréenne
et une part de ‘musique contemporaine’, et d’autres choses encore, mais le
concert est surtout totalement improvisé. Ils et elle n’ont jamais joué
ensemble. Seuls Didier Petit et Philippe Foch ont l’habitude d’être partenaires,
sinon, les 4 musicien-ne-s ne se connaissent que depuis la veille ou depuis
quelques heures.
Ce qui est extraordinaire dans ce concert, c’est
qu’il est acoustique, et, j’ai envie de dire, hyper-acoustique. L’amphithéâtre
moderne est dédié à l’étude de la musique acoustique, on peut y faire des
conférences sans micro grâce à des murs striés de vagues ondulées. Je n’ai
jamais aussi bien entendu des instruments et surtout les sons très bas, ce qui
révèle des nuances et des subtilités. Gratter la flute devient un son musical, frotter
ou cogner deux instruments donnent des sons, poser une percussion sur une
autres donnent des sons bien audibles, le ventre est un tambour parfait. Même rire
devient un son. Un moment merveilleux, c’est quand Philippe Foch s’amuse à lever
en l’air une cymbale vibrante, et fait varier son son. Il y a de quoi se
questionner sur les avantages des technologies modernes. Que perd-t-on à écouter
constamment de la musique par amplification ? C’est aussi le corps qui
revient, les pieds nus, les doigts qui prennent, tiennent, les oreilles qui
entendent, les muscles et les os qui agissent.
Ce qui attire le plus mon attention c’est le jeu
ensemble des deux percussionnistes, leurs échanges, leur dialogues et parfois
les discordances. Il n’y pas de tension, mais sans doutes des difficultés qui
font rire et sourire. Kim Dong-Won avec son janggo fait des choses pas
normales, un peu difficile à suivre. La clarté du son global permet des jeux de
rythmes subtils. Cela me rappelle un peu, parce que je le veux bien, les
meilleurs batteurs que j’ai eu la chance d’entendre dans le rock, comme Steve
Shelley de Sonic Youth, un champion des changements de rythme.
A la fin du concert, Kim Dong-Won explique qu’il
essaye d’écouter les autres et de ne pas reproduire ce qu’il a déjà fait. L’échange
avec les autres musicien-ne-s, crée un croisement de styles. Les passages
mélodiques sont cassés pour jouer avec des références en les évitant. En
discutant avec une organisatrice coréenne à la fin, je me demande qu’est-ce qui
reste des réflexes à reproduire des sons d’une mémoire culturelle. Les passages
mélodiques sont peut-être plus facilement associable à un patrimoine ou à une
culture, mais les sons des percussions, les bruits et les rythmes, pourrait
être plus universels, sans références. Pourtant, il y a aussi des passages
rapides quelques secondes qui évoquent des styles de musiques, jazz, rock ou je
ne sais quoi, en ce qui concerne le percussionniste d’ici. Quant à la culture
coréenne, j’avoue mon ignorance. Qu’est-ce qui reste de la culture et qu’est-ce
qui est libre de toute reste de culture dans un échange improvisé ?
Métaphoriquement, si l’on se comprend à partir de
deux langages, qu’est ce qui ne se comprend pas ?
Les musicien-en-es lâchent prise… On voit leur
bonheur d’être là ensemble et avec nous, 30 ou 40 personnes. Quand cela se
termine, le public est heureux aussi, le débat s’installe naturellement autour
des impressions et de réflexions plus intellectuelles.
Ce soir, il s’est tout de même passé quelque chose
de magique, un truc expérimental qui a bien marché.