Le leader
de l’opposition tchadienne, Saleh Kebzabo, qui était déjà passé fin
février - début
mars, est de nouveau à Paris pour
parler de la présidentielle du 10 avril.
La conférence de presse est animée par le journaliste Louis Keumayou.
En ce jour
de condamnation d’Hissène Habré à la prison à perpétuité, la séance commence
bien sûr par cet aspect judiciaire et historique. Selon le leader de l’opposition, la
condamnation « a valeur d’exemple, pour réduire les tendances dictatoriales »,
mais il y a eu « deux procès », l’un à Dakar, et l’autre des
complices à Ndjaména, qui était « à sens unique ». En conférence, il n’insiste pas
sur le fait que le procès n’a pas montré le rôle d’Idriss Déby au côté d’Habré -
comme commandant des Forces armées nationales tchadiennes pendant les massacres entre septembre
84 et août 85 -, puis dans la poursuite des crimes dans les années 90
selon des méthodes similaires, surtout entre 1990 et 1993. Puis, dans une interview vidéo de
Louis Keumayou,
il précise sa position de manière plus ferme.
Sans le
nouveau coup d’état électoral d’Idriss Déby d’avril, Saleh Kebzabo serait peut-être
aujourd’hui président du Tchad. Il commence par qualifier de « terrorisme politique » la méthode
d’Idriss Déby qui a imposé « un recul de 20 ans au niveau processus
électoral ». Après la proclamation des résultats par la CENI le soir 21
avril, des tirs en l’air ont été entendus dans tout le pays, toute la nuit, de
toutes sortes d’armes y compris des canons, pas pour exprimer la joie mais pour
faire peur et empêcher ainsi la contestation.
En fonction
des procès verbaux, l’opposition a présenté un calcul de résultat qui montre qu’Idriss
Déby n’a pas pu dépasser les 43% au premier tour, avec l’hypothèse de 100%
des votes au Nord, dans les provinces où l’opposition n’a pas les procès verbaux. Saleh Kebzabo est satisfait
des candidatures multiples de l’opposition au premier tour, et indique que
selon ses résultats, Idriss
Déby n’était pas qualifié au second tour. Il explique de le président
sortant n’a reçu aucune félicitation, juste quelques félicitations lors des
résultats provisoires (Niger, Mali, Cameroun, Congo B). Les réactions françaises,
européennes, américaines se font attendre, et il regardera avec attention les
représentations à l’investiture le 8 août.
Le président de l'Union nationale pour le
développement et le renouveau (UNDR) décrit les méthodes
de fraudes. Il est mécontent de la biométrie en
raison des 2 kits refusés : celui qui devait servir lors « de la
distribution des cartes » et celui de la vérification biométrique le jour
du vote. Ce kit n’a été utilisé que dans 3 pays, et il était peu probable qu’il
soit utilisé au Tchad, selon mon étude (1.1 Biométrie
électorale : mode d’emploi). Les cartes non distribuées
ont été données aux chefs de village et aux chefs militaires locaux. Le vote
des nomades est aussi évoqué comme source de fraudes.
Il y a eu une « CENI
parallèle » du pouvoir. Même le président de la CENI ne savait pas que
le 21, les résultats seraient annoncés.
Il insiste sur le vote des
militaires : « la surveillance des isoloirs », « la
récupération des bulletins » non utilisés, puis les militaires « battus,
humiliés, arrêtés, libérés rapidement ou disparus des jours ou des semaines, et
des assassinats » dont le nombre reste inconnu. Cette affaire est à
suivre, le MAE français, les USA, la FIDH ou Amnesty suivent le sujet.
Il décrit,
enfin, une opposition unie autour de 6
candidats qui pour « la première fois refuse un résultat ». Ce
groupe a commencé à « rassurer la population ». Il prévoit une « recomposition
de l’opposition, une refondation politique », avec les nouveaux partis. Les
législatives pourrait avoir lieu début 2017 et le vote de la présidentielle
sans la fraude est « encourageant ». Il pourrait y avoir une « coalition
nouvelle et des listes communes ». Il y aura ensuite les élections
locales. Il est enthousiaste sur le « rajeunissement, la jeunesse éclairée
et engagée », et indique que « la société civile aura son mot à dire ».
De
nombreuses questions des journalistes et du public permettent ensuite de
préciser les points. Sur le projet de Gouvernement
de salut public, il explique qu’il y a une « intention », et que
l’intronisation du 8 août sera l’occasion de réagir de manière adaptée. Un
dialogue sera possible mais selon des conditions. Il parle également de la
baisse du pouvoir d’achat, des tensions sociales, les grèves sectorielles.
La condamnation
du chef de file de l’opposition de l’observation
électorale de l’Union africaine est sans équivoque (Rapport
préliminaire avant annonce résultats). Il condamne une mission inutile qui
coûte cher pour rien, choquante, insultante, alors que le Tchad avait déjà connu
de bonnes observations de l’Union européenne. L’Ue avait envoyé une Mission
d'Expertise Electorale, restée assez longtemps, qui n’a pas encore eu d’effet
et dont le rapport n’a pas encore été publié. Il dénonce les chefs d’Etats qui
grognent contre « la démocratie des blancs », qui sont eux-mêmes « les
fraudeurs », et qui voudraient « une démocratie tropicale »
selon des « débats qui n’en finissent pas », quand la démocratie est « universelle ».
Saleh kebzabo souligne qu’au Tchad, la culture démocratique s’enracine,
que la jeunesse est combattive, que la peur diminue, que les gens n’ont plus
peur de crier des slogans ou de qualifier Déby de voleur dans les meetings. Il
signale cependant que des mécontents ont rejoints des rébellions au Soudan,
mais qu’il faut attendre quelques mois pour « voir si la tendance se
confirme ». Sur la différence entre le vote au Nord et au Sud, il nie une
division, et admet que les candidats sont liés à des régions, et voit un
mélange du vote se faire. Il dénonce la volonté du pouvoir de se justifier d’exister
au travers de divisions.
A la question de savoir si Déby concédera le droit de manifester,
il répond qu’ « il y aura des manifestations », et que « l’on va
arracher le droit et ne pas attendre qu’on nous l’accorde ». En 2016,
comme en 2011, une certaine liberté d’expression a été accordée mais uniquement
pendant la campagne, ce qui est, pour un pouvoir, une manière originale d’agir en
Afrique, ailleurs, ce lâché de lest en campagne électorale n’étant pas si
visible.
Comme chaque fois, Saleh kebzabo est philosophe, optimiste malgré
les difficultés, dont il n’oublie aucune. Il prédit une évolution
rapide de l’Afrique, même si l’Afrique centrale est en retard.
Régis Marzin, article écrit et publié le 1er juin 2016, corrigé le 2 juin 2016
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