A la Belle Etoile à la Plaine Saint-Denis, dans le
cadre du festival ‘Plaine cinéma’organisé
par l’association Cinémanifeste, sur le thème de la peur, est projeté le
documentaire ‘No land’s song’, d’Ayat Najafi, réalisé entre 2012 et 2014, sorti en mars
2016. Le film retrace l’organisation
d’un concert de musique, surtout persane, à Téhéran en 2013. La
compositrice iranienne Sara Najafi a l’idée de faire chanter en soliste deux
artistes iraniennes, Parvin Namazi et Sayeh Sodeyfi, deux françaises, Lise Caron et Jeanne
Cherhal, et une tunisienne, Emel
Mathlouthi, avec des musiciens
iraniens et français. Son frère l’accompagne comme documentariste. Le problème,
c’est que les Mollahs ont interdit depuis 1979 le chant en solo de femme devant
un public d’homme.
Un passage du
film résume le problème de fond. Un vieux théologien nous explique la raison de
cette loi. Les femmes sont très douces mais les hommes ne le sont pas. Une
femme peut se permettre d’être excitée physiquement par un homme, elle saura se
tenir, mais un homme lui peut faire des bêtises, et on ne pourra l’empêcher.
Donc, il ne faut pas qu’il soit excitée par une femme, donc une femme ne
peut pas chanter seule devant des hommes. Une des artistes, un moment en
colère, propose qu’on débarrasse la terre des femmes.
Sur cette
base, organiser ce concert ne pouvait être qu’une aventure pleine de
rebondissements. Quelques compromis sont acceptés dès le départ, par exemple
sur la présence d’un chanteur homme ou sur les tenues. La musicienne voyage
entre Paris et Téhéran, se rend régulièrement au ‘Ministère de la culture et de
la guidance islamique’ et est interrogée par des fonctionnaires mystérieux.
Plusieurs fois, les artistes sont pris de doutes sur la possibilité d’y arriver.
La
présidentielle d’août 2013, lors de la quelle Hassan Rohani remplace Mahmoud Ahmadinejad, semble un moment arranger
les choses. Le concert est finalement autorisé et les visas accordés pour les
français-es et la tunisienne, mais juste avant la date, une ultime menace est
portée contre les artistes pour leur faire enlever toute portée symbolique à l’événement :
un concert dans la salle de répétition au lieu de la salle de concert, un contrôle
de l’identité du public, entre autres. Sara
Najafi résiste et joue de la relation entre la France et l’Iran pour gagner son
pari, puisque le pouvoir gère son image dans une période d’ouverture où
interviennent des enjeux économiques.
Le concert a
lieu dans une salle devant 300 personnes environ. Les paroles des chansons sont
très fortes : la chanteuse Emel Mathlouthi très engagée fait référence à la révolte de 2011 en Tunisie. Une ancienne
chanson persane écrite pour une femme, qui n’a plus été chanté que par des
hommes depuis des décennies, est enfin rechantée par une femme.
Cela me
rappelle Tiken Jah Fakoly qui a chanté « quitte le pouvoir » au Togo au
milieu des militaires armés, et qui s’est
fait expulsé de Kinshasa en 2015, Joseph Kabila ayant interdit son concert.
En interview, je lui avais demandé s’il pouvait aller faire ses concerts dans les
dictatures d’Afrique centrale, il
m’avait répondu que cela devait être possible. C’était possible, mais ce n’était
pas facile !
En Iran, qui
a le plus peur ? Les tenants du système dictatorial ou la population victime
des atteintes aux droits humains ? Il y a une peur réciproque et des
efforts pour la vaincre réciproque. Au
Gabon, l’activiste Marc Ona disait fréquemment « la peur a changé de
camp », un slogan maintenant célèbre. Ayant moi-même longuement étudié les dictatures contemporaines
en Afrique, je comprends qu’un système mis en place à une époque en
fonction des données de cette époque perdure, s’use intérieurement mais ne
tombe pas, même si le sens et l’équilibre de départ a disparu. Il faut une
énergie très forte pour qu’un système illégitime, non démocratique disparaisse.
En 2009, 4 millions de personnes étaient dans les rues de Téhéran espérant le
respect de la vérité des urnes, en vain. Le résultat a été inversé. En 2013, un
léger mieux a été obtenu, quand les mollahs ont accepté un début d’ouverture,
mais les institutions de la ‘république’ reste soumises aux desiderata de l’institution
religieuse.
Le film révèle
une mise en abîme. Des artistes se battent pour leur liberté et réalisent ainsi
un acte politique. Le film lui-même en témoignant cherche une nouvelle limite
dans l’expression de la liberté. C’est ainsi un film sur la relation entre art
et politique, à deux niveaux, limpide et éclairant.
Irène Ansari, la coordinatrice de la Ligue
des Femmes Iraniennes pour la Démocratie (LFID) – sur la photo – intervient
avant après le film, auprès d’Antonia Naim de Cinémanifeste. Elle replace l’histoire dans son contexte historique :
la dictature du Shah, une modernité sans démocratie et sans partage des
richesses, la ‘révolution’ de 1979, 8 ans de guerre contre l’Irak, pendant la
quelle la cause des femmes était inaudible, l’élection au résultat inversée en
2009, la période moderne où les religieux se sont adaptés aux technologies
modernes. Elle décrit l’état du pays et la situation des femmes. Celles-ci sont
très bien formées, mais réduites à vivre dans des conditions sociales très
dures. Irène Ansari se bat pour leur droit, « un droit universel ».
Régis Marzin, article écrit et publié le
9.10.16
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