Ce jeudi à Paris, Amnesty International organise une conférence-débat
sur « l’intensification de la répression de la société civile au
Tchad » avec les défenseurs des droits
humains, Saturnin Bemadjiel et Mahadjir Younous. Le premier est
journaliste à radio Fm Liberté
à Ndjaména et militant au sein de l’Association pour la Promotion des
Libertés Fondamentales au Tchad (APLFT) et le second est leader syndical de l’Union des
Syndicats du Tchad (UST), principale organisation syndicale au Tchad.
Balkissa Ide Siddo, chargée
de campagnes pour l’Afrique Centrale, à Amnesty International à Dakar, est présente
par visioconférence. Elle a participé à écrire le rapport du 14 septembre
2017 : « Tchad:
Entre récession et répression: Le coût élevé de la dissidence au Tchad »
(résumé).
Delphine Lecoutre, coordinatrice
Centrafrique, Tchad et Gabon pour Amnesty International France intervient
également. La Chargée de plaidoyer Libertés d’Amnesty, Katia Roux
est également présente.
Balkissa
Ide Siddo présente le rapport d’Amnesty et rappelle quelques faits : en
2016, l’interdiction des marches, la loi pour réduire le droit de grève, l’interdiction
de mouvements citoyens, l’aggravation de la surveillance. Cette surveillance se
réalise sur le terrain et sur internet. Il a suffi d’une vidéo postée sur youtube pour que
l’activiste Tadjadine Mahamat Babouri soit enfermé depuis le 30
septembre 2016. L’Agence Nationale de la Sécurité (ANS) est responsable de
plusieurs arrestations arbitraires sans cadre juridique, de tortures, de
détentions secrètes.
Saturnin Bemadjiel revient sur l’affaire de trafic d’armes vers la Syrie,
qui a provoqué l’arrestation du journaliste Juda
Allahondoum, directeur de publication de
l'hebdomadaire Le Visionnaire, le 23 octobre 2017. Il avait cité la femme d’Idriss
Déby. Selon Saturnin
Bemadjiel, l’ANS est au-dessus des ministères et rend compte
directement au chef de l’Etat. Il pense que la surveillance est devenue pire
que sous Hissène Habré.
Mahadjir Younous décrit le contexte politique qui a entouré les atteintes
aux droits humains, à partir de l’élection de 2016. Le manifeste contre un
cinquième mandat avait provoqué l’arrestation de cinq personnalités de la
société civile pendant un mois juste avant l’élection. Depuis, il y a eu
également l’emprisonnement de Nadjo Kaïna. Le syndicaliste souligne que le
gouvernement français a demandé le 25 octobre au Togo de laisser la
population manifester, mais ne se prononce pas sur l’interdiction
totale de manifester au Tchad.
Katia Roux indique qu’Amnesty demande un cadre législatif
pour protéger les défenseurs des droits humains partout dans le monde, des
protections des ambassades, et travaille au renforcement des capacités des
organisations victimes de répression.
Lors du débat, Mahadjir Younous explique les raisons du
durcissement. Suite à l’inversion du résultat de la présidentielle, puisqu’Idris Déby aurait dû
perdre au second tour, il se sent rejeté par le peuple.
Le syndicaliste constate que l’ANS va vers le style Habré. Le blogueur Makaila Ngebla remarque que Paris et l’Union européenne privilégie la lutte contre le terrorisme et invite Macron à mieux prendre en compte les droits humains. Il souligne que Déby a peur des manifestations de rue. Un tchadien pense que demander à Macron d’agir est un « leurre » parce que Déby est « sous le parapluie de l’impérialisme français ».
Le syndicaliste constate que l’ANS va vers le style Habré. Le blogueur Makaila Ngebla remarque que Paris et l’Union européenne privilégie la lutte contre le terrorisme et invite Macron à mieux prendre en compte les droits humains. Il souligne que Déby a peur des manifestations de rue. Un tchadien pense que demander à Macron d’agir est un « leurre » parce que Déby est « sous le parapluie de l’impérialisme français ».
Le député Gali Gatta de passage à Paris affirme qu’« avec la lutte
contre le terrorisme, le reste est passé sous silence ». Il rappelle la
mort de 5 manifestants lycéens fin 2015. Il insiste sur le fait que Déby est « non
élu », qu’il n’a gagné aucune élection, et qu’il a été sauvé par les
français en 96, 98, 2004, 2006 et 2008. Selon lui, les syndicats, les
organisations de droits humains, les partis politiques, luttent et payent un prix
très cher à cette lutte, et le lobbying est nécessaire pour que la « chape
de plomb explose ». Mahadjir Younous évoque l’emprisonnement du maire de
Moundou, Laokein Médard, depuis le 14 juillet 2017.
Le débat revient sur Plan national de développement (Pnd). Mahadjir
Younous pense qu’il va se confronter à la mauvaise gouvernance et qu’il
faudrait d’abord changer les hommes. Saturnin Bemadjiel donne l’exemple du
programme de l’Ue sur la justice sans aucun lien avec la société civile. Dans
le public, Abacar Assileck, qui se présente comme activiste politique, signale
qu’« avant le Pnd, la France pouvait dire de faire des législatives ».
Katia Roux souligne que face au « rétrécissement des espaces
dans la société », l’enjeu pour les autorités française est de ne pas se
retrouver dans une situation de complicité. Amnesty dénonce donc le silence,
qui ternit l’image, en attendant une réaction.
Gali Gatta reprend la parole pour parler de l’éducation : « dans
deux ans, il n’y aura plus d’écoles au Tchad, car le corps enseignant en
primaire n’est pas payé depuis 40 mois ». Deux ou 3 millions d’enfants mal
scolarisé seront plus facilement attiré par le jihadisme. Il souligne que le
Tchad est dans les derniers des classements sur la corruption et la mauvaise
gouvernance. Il s’inquiète du fait que le Pnd a permis de camoufler la question
de la dette du Tchad, dont le montant reste inconnu. Selon lui, si l’Ue est le
premier financier, elle a un droit de regard. Enfin il attire l’attention sur l’histoire
des interventions militaires tchadiennes en Afrique sous Déby : deux Congos,
Côte d’Ivoire, Soudan, Togo, Centrafrique. Les français considèrent comme
essentielles les questions militaires.
En conclusion, Makaila Nguebla interpelle de nouveau le pouvoir français,
lui demande de « jeter un regard croisé », rappelle que la
diaspora tchadienne de Paris a organisé un contre-sommet
à la conférence des bailleurs le 6 septembre 2017. Il réclame que l’aide
soit conditionné au soutien de la société civile.
Venu pour écouter, je
ne m’exprime pas lors de cette conférence-débat, et je note quels sont les
points débattus en ce moment dans la diaspora tchadienne et dont certains sont repris
par Amnesty international. Amnesty joue son rôle sur les droits humains en
tenant correctement compte du contexte politique et des responsabilités
extérieures notamment françaises ou européennes.
Cependant, pour finir,
je rajoute un point à ce compte-rendu, celui de la comparaison avec les 3
autres pays qui ont connu des inversions
de résultats de présidentielles en 2016, le Congo Brazzaville, Djibouti et
le Gabon. La situation a beaucoup plus dégénéré dans ces 3 pays qu’au Tchad.
Ces 3 pays vivent maintenant des surenchères dans la mainmise dictatoriale, le
niveau de dictature y est fortement remonté. Par contre, au Tchad, alors que
la répression et la surveillance sont très fortes, un certain niveau d’expression
reste encore possible. Le nombre d’occurrence dans la répression augmente sans
doute aussi parce que la volonté de s’exprimer est très forte. La société
civile et les partis sont mieux organisés qu’avant 2016 et résistent bien. Pour
les législatives suivant le coup d’Etat électoral, le dictateur tchadien est en
position défensive alors que les dictateurs congolais et djiboutien ont
finalisé un quasi-écrasement de toute opposition et que la situation s’est
figée, gelée, au Gabon à un niveau de dictature beaucoup plus élevé que par le
passé.
L’action d’Amnesty est
d’autant plus importante au Tchad, que la situation n’est pas fermée. Son action peut
avoir des résultats. La continuité actuelle d’une alliance franco-tchadienne renforcée à
partir de la guerre du Mali de 2013 peut justifier de mettre une certaine priorité
sur le Tchad dans le plaidoyer vers les dirigeants français sur la relation
avec les dictatures africaines.
Régis Marzin
Paris,
compte-rendu écrit et publié le 31 octobre 2017
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire