A la
conférence-débat, « Quel avenir pour le Tchad après l'élection
présidentielle ? » organisée par la Fondation
Gabriel Péri, au siège du PCF, intervenaient ce soir, de gauche à droite, Marielle Debos, chercheuse et auteure du livre ‘Le
métier des armes au Tchad, Le gouvernement de l'entre-guerres’, Makaila
Nguebla, le journaliste, blogueur, et Bruno
Angsthelm, chargé de mission Afrique au CCFD-Terre solidaire. Je suis
arrivé en retard et n’ai pas pu écouter le célèbre activiste tchadien qui a
fait un bilan de l’actualité suite au premier
tour de la présidentielle du 10 avril et au coup d’Etat électoral. Marielle
Debos finissait en concluant sur le lien entre la lutte syndicale en France et
les mouvements de contestation au Tchad, sous-estimé par le pouvoir ou la
presse.
Bruno Angsthelm, s’appuyant sur l’étude de Roland
Marshall d’avril 2015, a souligné la baisse de soutien de la population à
Idriss Déby entre 2011 et 2016. Selon lui, en 2011, après le conflit de
2006-2008 et la défaite des rebelles, une partie de la population se
satisfaisait encore de Déby. Depuis, le clan au pouvoir s’est isolé, et des
satellites se sont marginalisés. Il remarque que le « système féodal est maintenant
réduit et sans base sociale », et que la « jeunesse musulmane
manifeste », ou que « la société civile musulmane s’organise ».
La fin de son discours sur les élections me fait comprendre qu’il n’est
pas un spécialiste des élections en Afrique. Le chargé de mission Afrique du CCFD
indique avoir publié une tribune
dans La Croix (le 8 avril), et en parle comme s’il avait recommandé à l’opposition
de boycotter, parce que l’ «agitation » ne « servait à rien ».
C’est un point de vue trop simple, et ce n’est pas le rôle d’un membre d’une
ONG française de dire à l’opposition tchadienne ce qu’elle doit faire. Le 11
mai, la coalition animée par le Secours catholique «
Tournons La Page » a publié sur le coup d’état électoral d’Idriss Déby un communiqué avec un point de vue plus adapté,
pour « soutenir les démocrates tchadiens dans leurs revendications en
faveur de l’instauration de processus électoraux crédibles et transparents à
tous les niveaux – fichier électoral, CENI, surveillance des bureaux de vote,
rédaction des procès-verbaux, compilation des résultats à partir des
procès-verbaux – respectueux des principes démocratiques. »
Ce n’est pas parce que les mascarades électorales sont prévisibles en
dictatures depuis 1990 et qu’il n’y a eu que deux ou 3
présidentielles correctes en dictature (Congo-B 1992 suivi d’un retour de Denis
Sassou Nguesso en 1997, Ghana 2000, Kenya 2002), que les oppositions ne doivent
pas participer. Les stratégies de boycott sont également très difficiles et
problématiques, car, dans le boycott, la culture démocratique ne progresse pas,
l’opposition ne se réorganise pas, le lien entre population et leaders de l’opposition
ne se construit pas au travers d’une expérience, le processus électoral ne s’améliore
pas techniquement. En conclusion du débat, Bruno Angsthelm
distinguera « une alternance par les urnes, d’une d’alternance par le bas »,
parlant de « société en paix dans son imaginaire », sans avoir le
temps de bien expliciter ces propos.
Le 30 mai 2016, dans
une conférence de presse, le leader de l’opposition Saleh Kebzabo était
venu rendre compte du processus électoral en présentant les choses dans leur
complexité. Ce soir, dans la salle était également présent Mahamat-Ahmad Alhabo,
le candidat du Parti pour la Liberté et le Développement (PLD) qui fait parti
des 6
candidats de l’opposition unie dénonçant l’inversion des résultats du
premier tour de la présidentielle. Il décrit le processus électoral de la même
manière que Saleh Kebzabo, en parlant de la biométrie. Il indique en plus que le 22 avril, après la
communication des résultats fictifs par la CENI, quand les forces de l’ordre
ont tiré massivement toute la nuit pour dissuader la contestation, il y a eu
des morts et des blessés. A la fin de la conférence, il me précise, qu’une
soixantaine de blessés sont arrivés dans un hôpital de Ndjamena, qu’il a eu
connaissance d’au moins 2 mort-e-s, et que ce sont des balles perdues qui ont
provoqué morts et blessés. Il conclut que Déby, non élu, « à 10% », sera
dans l’impossibilité de gouverner, et reparle d’un Gouvernement de salut
public. Le célèbre député Yorongar arrive à la fin du débat mais ne prend pas
la parole.
Le débat est
ensuite très décevant. Les critiques sur la politique française démarrent sans
nuances. Les politico-militaires tchadiens sont venus assez nombreux et embrouillent
les discours. L’un d’entre eux, dans une brillante tirade classe « l’opposition
dans le même bloc qu’Idriss Déby » et prédit « une radicalisation
contre la France ». Un autre embraye en exagérant, me semble-t-il, le « sentiment
anti-français ». Puis, le débat en arrive à « la logique impériale »
et à la « recolonisation déguisée ». Je me demande s’il n’est pas de
plus en plus difficile d’organiser un bon débat à Colonel Fabien, et je me
souviens que plus on avancera vers la présidentielles de 2017 en France, plus
on entendra des discours critiques énervés et simplifiés.
A la sortie,
Makaila Nguebla
me tend un communiqué
du groupe des 6 candidats sur la répression qui continue avec des « arrestations
arbitraires et tortures » de l’Agence
Nationale de Sécurité. Le texte « demande à la communauté internationale de
cesser d’observer une indifférence coupable dans la situation actuelle
qui peut entrainer le Tchad dans une situation de violence ».
Régis
Marzin, Paris, 14
juin 2016
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