La conférence s’intitule "De Nairobi à Strasbourg : quelles perspectives et quels acteurs (nationaux
et internationaux) pour la paix et la démocratie au Gabon?". Elle a
lieu à Vandœuvre-lès-Nancy, ville universitaire
de 35000 habitants accolée à Nancy, entre Paris et Strasbourg, pas très loin du
Parlement européen. Dans quelques jours, au Parlement européen, aura lieu,
enfin !, le débat et le vote d’une résolution sur le coup
d’Etat électoral dont a été témoin la Mission d’Observation européenne (MOE-Ue)
dirigée et contrôlée par des parlementaires.
Les intervenant-e-s sont, de gauche à droite,
Scheena Donia, du bureau du Conseil des Gabonais de la Résistance (CGR), El Ali
Ibrahim, activiste à Paris, Laurence Ndong, auteure du livre « Gabon, pourquoi j’accuse », Séraphin
Moundounga ex ministre de la Justice gabonais, qui a démissionné du
gouvernement le 5 septembre 2016, et moi, journaliste-chercheur auteur d’un bilan
2016 des élections en Afrique.
La
conférence a été organisée par Laurence Ndong. Le conteur Chyc Polhit l’anime. Deux musicien-ne-s introduisent l’après-midi
par un court spectacle. La mairie de Vandœuvre-lès-Nancy accueille chaleureusement l’événement, et, est représentée par le maire-adjoint, Jean-Paul
Bernard.
Je commence par le bilan de l’année
2016, pic
électoral avec 14 présidentielles, dont 7 en dictatures, et 10 législatives,
contextualisé dans l’historique de la démocratisation
du continent africain depuis 1990. Le coup d’Etat électoral gabonais a eu
lieu après les coups
d’Etats électoraux du premier semestre au Congo Brazzaville, au Tchad et à
Djibouti.
En 2017, trois dictatures changent d’état
et passent en statut ‘instable’ : la RDC arrive dans une vraie transition
vers la démocratie, la Gambie va vers une chute possible de son dictateur
ubuesque, la Gabon reste en crise électorale de haute intensité. Le Tchad, en
banqueroute, avance d’une autre manière, vers l’inconnu. L’année 2017, sera
donc une année de gestion des crises électorales, alors que 2016 avait d’abord montré
l’indifférence et l’hypocrisie de la communauté internationale et africaine
face aux coups de forces des dictateurs.
L’enjeu augmente en Afrique
centrale, dans laquelle, l’absence de dates pour les législatives au Congo
Brazzaville, au Tchad, et au Gabon, est la preuve d’une crise électorale
régionale dont la logique dépasse celle de chaque crise nationale. Cette crise
régionale met la communauté internationale et africaine devant ses
responsabilités : prévenir vaudrait mieux que d’agir a posteriori. Le levier
d’action est connu : exiger la
qualité technique des processus électoraux par un une pression politique ferme.
Puisque l’Union africaine en reste
toujours à soutenir les dictateurs, il est recommandé de ne pas appliquer les
principes de complémentarité et de subsidiarité entre Onu, Ue et Ua, au profit
des dictateurs. Le coup d’Etat électoral au Gabon met l’accent sur la relation
Ue-Ua à réformer à plus long terme. La Mission d’observation européenne au Gabon
a mis en évidence que les missions d’observations européennes étaient instrumentalisées
par les dictatures, alors que les missions de l’Ua ne servent pour l’instant à
rien si ce n’est à soutenir les régimes. La politique européenne de soutien à
la démocratie est en jeu, y compris au niveau de l’Accord de Cotonou.
Le revirement de la communauté internationale
et africaine au Gabon, face à Ali Bongo et à Idriss Déby venu le soutenir, s’est
en grande partie fait, quand, pendant l’Assemblée générale de l’Onu, les
acteurs influents au Gabon ont mis la priorité sur la RDC en enlevant la
pression sur la Cour constitutionnelle gabonaise. Aujourd’hui, l’influence démocratique
en RDC a tendance à jouer négativement au Gabon, il serait sans doute possible
d’agir à ce niveau.
Scheena Donia présente le Conseil des Gabonais de la
Résistance (CGR) qui les derniers mois a mené la lutte sur Paris, en
coordonnant les activités de la diaspora. Elle insiste sur la non-violence et sur
la multiplicité des actions possibles. En ce moment, celle-ci se mobilise autour de la résolution du parlement
européen et de la Coupe d’Afrique des nations (Can) qui va commencer au Gabon. Une manifestation aura lieu à Strasbourg le
mercredi 18 janvier, la veille du débat au parlement le jeudi 19. Le CGR
invite les diasporas des autres pays à se joindre à cette manifestation. Au
Gabon, la lutte va s’intensifier pendant la période des matchs de foots.
El Ali Ibrahim parle lui aussi des méthodes
d’actions. Il évoque à la fois Gene
Sharp, Gandhi et Mao Tsé Dong trouvant des actions stratégiques
alternatives. Au Gabon, cela revient par exemple à dialoguer avec les
militaires, comme Sams’K le Jah, du Balai citoyen au Burkina parlait
constamment aux policiers, qui, ensuite, n’ont pas tiré sur les manifestants
pendant la révolution. Il souligne la culture légaliste de Jean Ping, issu du
milieu diplomatique, et pense qu’Ali Bongo craint la CPI en cas de violence
face à une manifestation dans la rue. Il signale que pour la CAN, Ali Bongo voudrait
remplir les stades d’enfants emmené-e-s des écoles. Il craint que pour se
bouger, « chacun attende quelque chose de l’autre ».
Laurence Ndong explique ce
qui s’est passé à Nairobi, quand les parlementaires européens ont voulu
mettre dans une résolution sur le Gabon l’exigence d’un recomptage. Il y avait
peu d’espoir que cela passe. Elle présente ensuite la ‘gouvernance au Gabon’ :
« la kleptocratie, le clientélisme, le népotisme, la déperdition des
valeurs, la paupérisation de la population, l’éducation négligée, avec 18,5% de
bacheliers en 2015 et 14,7% en 2016 ». Elle cite le chanteur camerounais Valséro parlant
de « régime de conservation du pouvoir, d’immobilisme, de zombification, d’endoctrinement »
quand le régime veut faire croire à la « population qu’elle ne peut rien
faire ». Elle remarque que les églises contribuent aussi à rendre des gens
passifs.
Séraphin
Moundounga revient sur le thème de la conférence « quelles perspectives et quels acteurs (nationaux et
internationaux) », en soulignant, comme
il l’avait fait le 16 décembre à Paris, que « l’action internationale se
déroule en appui des actions des gabonais », et « en fonction des
évolutions ». Il rappelle
avoir été victime
de plusieurs tentatives d'assassinat début septembre, qui l’ont poussé à l’exil.
Il explique son parcours, en évoquant les prisons et les crimes rituels. Il
signale que des réformes, dont « la prescription après la majorité pour
les viols », ont été bloquées. Surtout, il indique que « le code pénal protège les militaires
des crimes », au travers d’une procédure inapplicable basée sur les 2
uniques « magistrats du 7e groupe », « sans
différence entre siège et parquet ». Cette procédure permettaient que
les crimes de la présidentielle de 2016 soient possibles.
Il précise
les faits à ‘Nairobi’. Il y avait 77 parlementaires européens et 77 des ACP.
Les européens posaient deux questions : celle du recomptage et celle d’une
mission d’enquête internationale. La réponse au deux propositions a été
négative. Les députés gabonais ont fait le maximum pour l’empêcher. Les
parlementaires européens pourraient maintenant rédiger une résolution demandant
des sanctions, sans doute ciblées comme en RDC, à l’exécutif européen et au
Conseil européen. Cela suivrait logiquement les rapports des missions d’observation,
celui très dur de l’Ue, publié
le 12 décembre (rapport
pdf 66p), et même celui de l’Ua, pour lequel il n’y a pas eu de
communication officielle. Il rappelle également la Responsabilité de protéger
de l’Onu.
Il conclut
sur le « droit de désobéir », par exemple si « les enfants sont
envoyés à la CAN », puis par une citation d’Etienne de la Boëtie issue
du ‘Discours de la servitude volontaire’ de 1574 : « … tous ces
peuples qui se laissent promptement allécher à la servitude, pour la moindre
douceur qu'on leur fait goûter. C'est chose merveilleuse qu'ils se laissent
aller si promptement, pour peu qu'on les chatouille. Le théâtre, les jeux, les
farces, les spectacles, les gladiateurs, les bêtes curieuses, les médailles,
les tableaux et autres drogues de cette espèce étaient pour les peuples anciens
les appâts de la servitude, le prix de leur liberté ravie, les outils de la
tyrannie. Ce moyen, cette pratique, ces allèchements étaient ceux
qu'employaient les anciens tyrans pour endormir leurs sujets sous le joug. »
Je traduis : Ali Bongo pense y arriver à l’ancienne, avec un vieux
logiciel périmé.
Le débat
est réduit au minimum faute de temps. Un activiste revient sur les modes d’actions,
sur un mélange possible des méthodes. Un autre présente les
« marches numériques » qui ont déjà du succès. Séraphin
Moundounga a le mot de la fin. Il invite à « solliciter le soutien
européen » en argumentant sur la « paix assise sur la démocratie »
en Afrique.
Régis
Marzin
Article
compte-rendu écrit et publié le 8.1.17
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